A l’école des lieux
Qu’est-ce qu’un milieu de vie ?
L’idée de « milieu » s’est formée au début de la modernité dans les sciences physiques et chimiques avant d’être transposée dans la biologie. Elle désignait alors l’ensemble des causes déterminant mécaniquement les vivants, agis par le milieu et non acteurs, objets et non sujets. Au 19ème siècle, un biologiste pouvait dire « les poissons ne mènent pas leur vie d’eux-mêmes, c’est la rivière qui la leur fait mener ». Cette idée du milieu construite pour agir sur les vivants servait idéalement l’humain, l’être de tous les milieux, le grand ingénieur des milieux.
Il est maintenant évident que les vivants font leur milieu autant que le milieu les fait. Il est maintenant flagrant que l’humain s’est tellement représenté les milieux comme non vivants, que finalement ils meurent. Et la situation humaine comme celle d’un être confronté au milieu et en lutte contre lui apparaît comme une situation catastrophée. Alors, en de multiples points du monde, les humains cherchent à retrouver et réhabiter les milieux. Reste à savoir comment un milieu se délimite, selon quels seuils ou frontières. C’est d’abord un problème de perception. Un plateau comme le nôtre constitue-t-il un milieu de vie ? Et dans quel non milieu sont possibles des plantations, des épidémies, des mégafeux ?
L’enjeu de ce groupe de travail est de considérer le milieu comme une bonne échelle pour défendre ce que nous voulons défendre. Mais peut-on définir le milieu où l’on vit par des découpes sociales, administratives, géographiques, biologiques, géologiques? Avec le temps qu’on passe en voiture, devant l’écran, en communication, quand sommes-nous présent-es au milieu ? Peut-on réduire les milieux de vie aux milieux naturels ? Un milieu, est-ce quelque chose qui se connaît ou qui se sent ?
On pourra partir de la façon dont chacune chacun se rapporte à son milieu, comment il ou elle l’éprouve, y vit en le faisant vivre (ma maison, ma ferme, mon hameau, mon plateau…).
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Entraide, solidarité et nouveaux communs
Bien que nos lieux écoles se soient portés sur des domaines variés, nous partageons un sentiment commun, un désir de nous réapproprier des savoirs nous rendant capables d’habiter nos milieux de vie.
Ce rapport au monde qui nous rassemble, justifie l’intérêt de nous entraider et pose les prémisses d’une solidarité entre nos lieux. Cette entraide est d’autant plus importante à l’heure où de nombreux lieux et nouveaux communs menacent de disparaître sous l’effet d’un manque de moyens.
Nous pensons donc ce groupe de travail comme un espace d’échange et de réflexion qui doit nous permettre de partager la manière dont nous organisons nos conditions matérielles de fonctionnement. Nous voulons aborder ces questions en nous demandant quels statuts, quels rapports possibles à la propriété, quelles relations avec les institutions et quels moyens de subsistance renforcent nos actions.
Face à notre dépendance aux financements extérieurs et au risque de notre mise en concurrence généralisée dans la course aux subventions, aux dotations de fondations et aux appels à don, nous voulons réfléchir aux relations entre nos collectifs et à la possibilité de construire des dispositifs de solidarité qui permettraient de prendre en compte des besoins matériels et nous éloigneraient des risques d’épuisement. En d’autres mots, nous voulons réhabiliter l’idée de mutuelle selon le principe d’un droit en fonction d’un besoin.
Il s’agira de regarder en face ce qui nous a menés à des échecs répétés : qu’est-ce qui les provoque? Comment les éviter, comment les surmonter ? Comment penser l’accueil au sein de nos collectifs afin que le désir de contribuer se substitue aux passions de l’entrepreneur de projets ? Enfin, comment accompagner celleux qui désertent, afin de gagner en force ?
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Des savoirs situés pour défendre la Terre
Aux sciences et aux experts reviendrait le rôle d’exposer des faits et de définir les bonnes pratiques de la nature et à tout à chacune reviendrait la faculté d’attribuer des valeurs aux choses considérées généralement comme superflues. De ce point de vue lutter contre la destruction du vivant pourrait se limiter strictement à défendre des politiques environnementales globales prises dans la logique de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de protection de la biodiversité.
À l’inverse nous pourrions nous demander en quoi cette façon de concevoir la préservation des conditions de la vie sur Terre, non seulement n’aboutit pas aux résultats espérés, mais participe pleinement du problème. Pour répondre à la brutalité décourageante des entreprises de destruction, nous défendons l’idée qu’un certain sens du lieu, composé de modes d’existences, de savoir et de sentir ouvre la seule voie rigoureuse, rationnelle si nous parlions comme eux, pour résister au désastre.
En ce sens, il s’agit en quelque sorte de redonner vie à nos façons d’habiter. Nous sensibiliser à ce que notre modernité a neutralisé et caché permettrait de faire de la préservation de la nature non pas une posture morale, mais une pratique au cœur de nos manières de vivre. C’est par ce moyen que toute écologie, prise dans des milieux de vie, pourra devenir politique au sens d’un problème politique, susceptible de révéler l’espace du conflit qui traverse notre temps.
Mobiliser la notion des « savoirs situés » pour défendre la Terre, ce n’est pas s’opposer à la science et à sa puissance descriptive. Mais c’est considérer que c’est en tant qu’elle est située parmi d’autres manières de se rapporter aux êtres et aux choses qu’elle peut devenir une alliée pour défendre des milieux de vie dont le sens et l’existence sont toujours partagés par les êtres qui le peuplent.
L’enjeu de ce groupe de travail est de repenser le lieu de l’écologie politique depuis les milieux de vie. Lutter milieu de vie par milieu de vie, n’est-ce pas la façon la plus efficace d’agir contre les entreprises de destruction du vivant ? Comment les savoirs situés peuvent-ils devenir un moyen de mieux protéger nos milieux de vie que les savoirs experts et de répondre à leur pouvoir ?
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L’enchantement des mondes, rites et spiritualité depuis les milieux de vie
On nous a inculqué depuis longtemps que le monde est rationnel et qu’il faut le voir comme purement matériel, régi par des lois scientifiques, dominable par la technique. On nous a appris en même temps que tout autre vision relève de la magie et de la superstition. Nous voilà donc modernes et désenchantés.
En réalité, ce monde moderne fabrique de la spiritualité et en donne à consommer. Tantôt c’est la dernière innovation technologique qui produit de l’enchantement ; tantôt c’est la dernière technique de développement personnel en vogue qui vient remplir la morning routine. La terre a été rendue si peu habitable que toute notre admiration va à la technique, tous nos soins au rafistolage du moi. On peut très bien concevoir la journée des centrales nucléaires et pratiquer le soir le bouddhisme zen.
Ce n’est certainement pas de ces façons que notre besoin de toucher au mystère de l’existence sera comblé, et nous avons l’intuition que ces spiritualités sont placées à de mauvais endroits ou tout simplement mauvaises. Mais en quoi précisément ? L’atelier pourra consacrer un temps à la formulation d’un diagnostic commun. Mais l’enjeu sera aussi de parler d’une autre spiritualité, celle qui cherche à transformer un soi dans ce qu’il a de plus profond, pour l’ouvrir à plus vaste qu’un moi et lui permettre d’entrer en résonance avec le monde. Comment bricoler une spiritualité depuis nos milieux de vie et à l’aide des savoirs situés ? Quels gestes et quels rituels pourraient nous faire appartenir de nouveau à la terre ?
De fait, les spiritualités que nous cherchons prennent souvent l’aspect d’aventures solitaires. Comment faire pour qu’elles nous relient par-delà les relations affinitaires ? Quelle forme collective donner à nos gestes, qui rayonnerait entre nous comme une force : honorer ce qui nous entoure et certaines de nos actions, accompagner nos défunts, célébrer les passages de l’existence, faire preuve de gratitude. Aucune de ces attentions n’a vocation à unifier nos pratiques, mais toutes tracent un chemin pour lutter contre ce qui nous mine.
On pourra partir de la façon dont chacun chacune essaye d’introduire du spirituel dans l’existence, par quelles pratiques et avec quelle efficience.