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23. Ruralité locale / Transition / Jardin vivrier – Arthur Deguilhem

Un constat d’essoufflement et d’urgence

Notre société de la technique et du progrès, délègue ses besoins fondamentaux à sa science, aux machines et autres ordinateurs. Chaque besoin essentiel à la vie de l’homme devient l’enjeu d’une poignée d’experts et la population en est tenue éloignée. L’homme ainsi délesté de penser sa vie sur terre, devient libre de produire et de consommer du loisirs en toute insouciance. Ce n’est pas son rôle de se nourrir, ce n’est pas son rôle de se vêtir, ce n’est pas son rôle de penser son habitat. Tout cela dépasse le citoyen consommateur, uniquement là, pour faire tourner la machine de production, en consommant toujours plus que nécessaire, désormais il faut avaler 13kg de pommes de terre pour en produire un seul, c’est l’idée de l’abondance de notre progrès.

Un constat quasi général d’un monde dominant à bout de souffle, L’éternelle croissance de la consommation, de la production, de l’économie semble être une impasse. Beaucoup d’incertitudes, le retour à la bougie fait peur, le marketing vert d’une consommation de bonne conscience se développe illusoirement, les petits gestes de chacun sont des efforts qui nous paraissent un peu ridicule, face à ce monde mondialisé qui s’emballe chaque jour un peu plus. On partage un constat, une urgence, on s’angoisse mutuellement d’une fin, sans savoir vraiment de quelle fin il s’agit. On trouve des solutions, jamais assez globales, jamais assez crédibles… Alors, on fantasme une révolution mais, bien trop violente et trop incertaine, on ne sait d’ailleurs même pas vraiment vers qui la tourner. Puis on se trouve des coupables, la faute aux autres, la faute au système, la faute à l’élite, la Russie, les patrons, les fonctionnaires, les improductifs… non la finance haute fréquence et le monde médiatico-politique, puis on est trop nombreux !

Cela donne l’impression de s’engluer dans un mal-être collectif, une tragédie indépassable.

Prisonnier de nous-même, on a renoncé à notre liberté d’imaginer un avenir, désormais consommateur, on délègue notre pouvoir d’agir aux experts bien éduqués et n’avons plus qu’à jouir du confort et de la sécurité de ne se soucier que de l’unique minuscule tâche pour laquelle on a été formaté. Nos vies consiste à faire tourner avec plein de bonne volonté un petit rouage d’une machine infernale que personne ne maitrise et qui parait ne pas convenir à grand monde.

Retrouver notre liberté d’agir

Nous avons des envies de changement, individuels et collectifs, une transition, tout cela est assez clair, demain ne sera pas comme aujourd’hui. Il me semble nécessaire de commencer à renouer avec notre pouvoir d’agir, s’autoriser à faire un monde à notre échelle que l’on est capable de comprendre, être dans l’action, semer, planter, bâtir, construire, concevoir, rencontrer, échanger… se rendre compte par soi même, écouter son intuition, observer, tester… Ne pas avoir peur du geste spontané de l’amateur en se soumettant au calcul de l’expert, au contraire il faut voir l’expérimentation comme une source de savoir, faire pour mettre la pensée en mouvement, c’est des expériences d’aujourd’hui, qu’adviendra le monde de demain. Peut-être un monde où l’on se servira de notre énergie pour accroitre nos compétences, notre solidarité, notre résilience, notre bonheur, un monde ou nos technologies auront pour objectif d’accroître la fertilité, la biodiversité, la qualité.

Autorisons nous à tester et penser par nous même l’accès à nos besoins fondamentaux. Comment je souhaite me nourrir ? Comment je souhaite habiter le monde ? Comment produire de l’énergie ? Comment je souhaite me vêtir ? Quelles relations je souhaite avec mon entourage ? Quel patrimoine pour les générations futures… ?

Depuis qu’il existe, l’homme a passé la plupart de son temps à répondre à ses besoins vitaux, d’abord chasseur cueilleur nomade, profitant de l’abondance spontanée de la nature, puis paysan sédentarisé ou l’activité agricole est restée largement majoritaire, jusqu’en 1950 en France. Il y avait alors encore 30% de la population active avec une profession agricole, contre 2% aujourd’hui.

Le progrès moderne nous mène à une situation ou la majorité de la population ne sait même plus se nourrir, nous sommes entièrement dépendant d’une poignée d’irréductibles agriculteurs aidés de tracteurs et pétroles, probablement bientôt remplacés par des scientifiques producteurs de cellules souches et de culture hors sol.

Alors, seul les derniers des paysans se rappelleront encore que la terre est capable de nous nourrir. C’est pour cela que renouer avec la vie paysanne est une réponse à la transition, être activement responsable de ce qui fait notre vie quotidienne, n’est pas un fardeau, c’est au contraire ce qui nous encre profondément dans la vie, nous offrans la liberté d’être pleinement au monde, conscient de son environnement, de son territoire et de tous ceux qui l’habitent.

Le jardin vivrier, comme base d’émancipation

Une vie rurale, paysanne, ou le jardin est le centre du quotidien semble nécessaire. Un jardin vivrier est à la fois un lieu de vie et de production pour une consommation familiale et locale, une pratique ancestrale, basée sur la transmission et le bon sens qui remonte à la naissance de la civilisation. Il n’y a pas une logique de standardisation, pour rationaliser la production, au contraire ce sont des espaces de libertés ou tout se mêle, techniques traditionnelles et expérimentales, observation de la nature scientifique et sensible, les énergies et les astres côtoient la chimie, sans hiérarchisation des savoirs et des époques.

Une dynamique d’amateur (celui qui fait avec amour) forme ces jardins, qui tirent leur force non pas de la rationalité mais, de la diversité des activités qui s’enchevêtrent les une aux autres, au fil du temps, des envies, des besoins, des moyens… Un modèle extrêmement efficace qui ne se limite pas à la simple production alimentaire.

Bien sûr le jardin vivrier est capable de subvenir à une grande partie des besoins alimentaires d’une famille et même de générer du surplus, grâce à la grande diversité qui y est cultivé. 0n peut penser un jardin avec une quarantaine de légumes et autant de fruits (voir beaucoup plus), une production de plantes aromatiques, à infuser, médicinales, ou encore ornementales, sans oublier la basse-cour, le rucher… Voir pour les jardins d’une belle taille 5 moutons, 4 chèvres, 3 cochons, 2 ânes et une vache.

Une production alimentaire, artisanale, manuelle, de grandes qualités nutritives et gustatives qui favorise notre bien-être physique et mentale en renforçant notre sentiment d’appartenance à l’écosystème en y étant acteur.

Il y a d’abord l’appartenance au microcosme du jardin avec qui le jardinier collabore, créant un lieu hôte pour la faune et la flore qui permet d’accroître la biodiversité et la fertilité. Ensuite, il y a l’appartenance au système vivrier lui même, qui tire sa force du lien entre les jardins, il est le prétexte à l’échange (de graines, de plantes, d’aliments, de matériels, de savoirs, de services…), ce qui produit un modèle de solidarité qui accroît la résilience d’un territoire.

Les jardiniers travaillent à créer des lieux de vie, grâce à une abondance et pour s’y sentir bien, le beau et le paysage y tiennent donc une place importante, il y a des allés retours permanent entre l’ornement et le nourricier, entre l’utile et le bucolique, entre le spontané et le composé. L’inutile à sa place, seulement parce qu’il nous donne le sourire.

Une pratique amateur du jardin, qui fait perdurer les gestes simples et ancestraux, ou l’économie de moyens produit une abondance déconcertante d’aliments, de solidarité, de paysage, de bien-être, de biodiversité avec une qualité rare. Le jardin vivrier est un lieu qui produit bien plus d’énergie qu’il en consomme et stock du carbone plus qu’il n’en rejette.Un cercle vertueux assez remarquable ou l’abondance appel le partage et le partage appel l’abondance.

De l’individu au collectif

Il est intéressant de noter le glissement qu’il s’opère entre l’idée du jardin vivrier, nourricier pour sa famille et le sentiment d’appartenance à un ensemble vivant. Le jardin est un enclos ouvert sur son environnement, qui le dépasse largement, le jardinier s’inscrit dans la dynamique du vivant, faune flore, mais également du vivre ensemble, partage, don, échange, entraide, solidarité…
Au fil du temps on connaît les plantes, les animaux et les jardins alentours, on connaît les familles et finalement la personne qui fait du fromage, de la viande, de la poterie, du tissu, du bois, de la charpente … Ainsi le jardinier s’enracine dans un territoire et fini par faire partie d’un réseaux de relations avec ses habitants, doucement on s’extrait d’une logique de consommateur et les contours d’une vie collective et locale, se dessinent assez naturellement.
Il devient alors plus simple d’imaginer une activité complémentaire au jardin en lien avec le territoire et les besoins de ses habitants. L’envie à son tour de se rendre utile et de donner du sourire à travers son activité devient évident, ainsi la pratique individuelle, s’intègre à une logique collective.

En fonction de ses envies et de ses aptitudes on peut projeter développer :

• une activité paysanne (bois de chauffage et d’œuvre, plante tinctoriale, céréale, fibre à tisser, farine, huile, bière, cidre, maraîchage, élevage, transformation…)
• une activité artisanale (charpente, maçon, tisserand, couturier, potier, vannier…)
• une activité de service (enseignement, herboriste, magnétiseur, cuisine, garde d’enfant…)
• une activité culturelle (musique, conte, illustration, art…)

On conçoit alors facilement des territoires extrêmement résilients et autonomes, ou l’ensemble des besoins nécessaires à la vie en société sont réalisés localement. Une dynamique à petite échelle, solidaire, ou chaque citoyen est considéré comme acteur du quotidien de tous permettant de donner un sens à la vie collective. Les questions de l’éducation, de la justice, de la santé, du transport, de la propriété, de l’énergie, de l’incivilité, de la sécurité, de la vieillesse… sont alors l’affaire de tous et chaque territoire sera plus à même de créer ses propres solutions et répondre au cas par cas aux grands enjeux du vivre ensemble.

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