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“Droit à la vie?” et “Le théâtre de la guérison” – Hugo

– deux ateliers autour de lectures récentes, en vue de questionner ensemble les thèmes abordés:

1) le livre «Droit à la vie?» de Alain Brossat.
C’est un livre que je trouve très intéressant pour saisir une dimension primordiale de ce qui se passe présentement. Il a été écrit en 2010, et anticipe étonnamment sur les événements récents. Je l’ai lu avant ceux-ci et suis frappé à quel point ils semblent s’ingénier à illustrer le plus didactiquement possible la thèse du livre. L’auteur met l’accent sur ce qu’il identifie comme LA force directrice de la société moderne actuelle: faire prévaloir à tout prix et universellement le «droit à la vie», c’est-à-dire la promotion de la vie «pure», de la vie en tant que «non-mort», de la vie perçue sous l’angle exclusivement sanitaire, celui de la «durée de vie» maximale et de la «santé optimale». Il montre également comment cette promotion de la vie pure, de par sa dimension difficilement attaquable dans un premier temps (qui oserait s’opposer à l’expansion de la vie?), sert à vendre un contrôle policier toujours plus approfondi, plus ramifié, au maillage toujours plus fin, et qui est l’autre face de la médaille du «droit à la vie». Le livre est intéressant par les nombreux exemples qu’il donne de comment le droit à la vie travaille, souvent subrepticement, nos pratiques, nos discours, notre vie quotidienne.

2) le livre «Le théâtre de la guérison» de Alexandro Jodorowsky.
Je ne suis pas du tout fan de Jodorowsky cinéaste ou scénariste de BD, mais j’ai découvert à travers ce livre le pan de sa production ayant trait à sa théorie et sa pratique thérapeutiques. C’est un livre où il explicite sa démarche. Il raconte comment il en est venu à placer la magie au centre du processus de guérison. La magie au sens très pratique du mot: celle qui marche «point barre». Peu importe qu’il y ait magie «réelle», tricherie (qu’il appelle tricherie sacrée), ou processus «inconscient»; il refuse de se poser la question en ces termes, car pour lui une vérité n’est pas ce qui est conforme à la réalité, mais ce qui est utile (cf taoïsme). Voici en résumé les étapes de la pratique thérapeutique «psychomagique»: 1) le psychomagicien (Jodorowsky) écoute la personne lui raconter ce qui ne va pas (ça peut être un problème de santé, ou psychologique, ou un autre genre de problème ou tout ça en même temps ), et il lui pose des questions (notamment via le tarot) pour avoir un tableau détaillé de la situation; 2) il lui prescrit un acte ou une série d’actes magiques à accomplir; 3) la personne accomplit la prescription scrupuleusement dans tous ses détails (sinon ça ne marche pas, suivre précisément les instructions fait partie du processus de guérison); 4) la personne écrit une lettre au psychomagicien pour lui raconter comment s’est passé l’accomplissement de la prescription et ce que ça lui a fait (ce dernier point fait office de payement: le psychomagicien ne demande rien d’autre en contrepartie de son soin).

Exemple de prescription, pour se faire une idée: Une mère a du mal à accepter l’homosexualité de son fils, qui est pianiste. Elle consulte Jodorowsky car chaque fois que son fils fait un concert ou passe un examen, elle a une peur panique qu’il échoue, et immanquablement il le sent et échoue effectivement. Jodorowsky lui prescrit de fabriquer une figurine à l’image de son fils, de la placer à côté d’un piano dont elle aura enduit les touches de miel, de maintenir une bougie allumée dans la pièce en permanence, et de venir y prier pour son succès pendant une heure une foi par jour. La femme accomplit la prescription, et le concert suivant est une réussite (et la relation de la mère et du fils s’améliore).

On voit qu’une bonne part de la dimension magique du soin consiste à, plutôt que, classiquement, traduire le langage de l’inconscient en langage ordinaire, s’adresser au contraire à l’inconscient directement dans son langage. Cette façon d’aborder le soin m’intéresse car elle permet de l’envisager hors du cadre exclusivement «sérieux» à l’intérieur duquel la médecine moderne aimerait le cantonner, pour au contraire le lier ontologiquement à la magie: pas de soin sans poésie. Il me semble que cette manière de poser la question du soin peut apporter beaucoup d’oxygène par les temps qui courent, et offre en tous cas des pistes intéressantes de questionnement.

– la projection du film «My dinner with André», un film de Louis Malles de 1982 qui met en scène une conversation entre deux amis dans un restaurant (version anglaise sous-titrée en français). Un film tout-à-fait particulier, le seul film à ma connaissance qui rend compte d’une longue conversation pour son contenu propre, où on est fasciné par la conversation elle-même, et non par des enjeux autres qui animeraient
les protagonistes. Comme il s’agit d’une conversation (et non d’un débat par exemple), les thème sont abordés relativement finement et profondément. Difficile de les résumer, mais ça résonne étonnamment avec les enjeux d’aujourd’hui. Il est question entre autres de magie et de rationalité, de rituels de confrontation à la mort, de synchronicité, du couple, d’architecture non industrielle (bricolée), de l’ambivalence du projet scientifique… La projection pourrait se faire sous la forme d’un atelier: pas en très grand nombre, avec possibilité, si quelqu’un le désire, d’interrompre le film pour intervenir dans la conversation, et aux autres de répondre, et de reprendre quand on a éclairci, affiné (voire infirmé) la question…