4. Face à l’artificialisation des terres – Pierre Couturier
Cette proposition porte sur l’offensive menée en France et ailleurs en Europe, par l’ordre capitaliste en direction des campagnes les plus éloignées des grandes villes. L’offensive est conduite selon une stratégie désormais éprouvée. Une rhétorique technocratique péjorative (désert, isolement, vieillissement, déclin, handicap, fragilité, …) annonce la multiplication des « diagnostics de territoire » accompagnés des remèdes des diafoirus de l’aménagement-développement qui garantissent la santé (économique), la réduction des « fractures » sociales et numériques, le dynamisme, l’attractivité… L’ordre marchand étend ainsi son emprise aux interstices jusqu’alors relativement épargnés par les logiques extractivistes. L’artificialisation des terres en est une des manifestations, parfois spectaculaire, souvent insidieuse.
Depuis les années 1960 l’artificialisation des sols ne cesse de s’accélérer, en particulier en France. Industries extractives, complexes industriels, zones d’activités, centres logistiques, infrastructures routières, zones commerciales, parcs de loisir, prisons, marée pavillonnaire, … : tous les sept ans, en France, l’équivalent de la superficie d’un département disparaît sous le béton et le bitume. Les discours politiques consensuels sur la préservation de la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique, le « développement durable » et autres « transition écologique », sont démentis quotidiennement par d’innombrables projets d’aménagement-déménagement destructeurs.
Cette progression exponentielle et destructrice n’est pas une dérive de l’ordre capitaliste qu’il suffirait de corriger par la législation et la réglementation bureaucratique. L’urbanisation fonctionnelle mercantile sous toutes ses formes constitue une des principales sources de plus-value et d’accumulation. Elle est un carburant essentiel au fonctionnement de la machinerie capitaliste. C’est pourquoi, après avoir concerné les grandes villes puis s’être propagée jusqu’aux plus petites selon une transposition spatiale du principe des « relais de croissance », elle touche désormais des lieux que le langage technocratique qualifie d’ « espaces hyper-ruraux ».
Dans ces conditions, le contrôle politico-bureaucratique de l’artificialisation des terres (législation, réglementation, commissions diverses) n’a pas pour objectif de limiter le phénomène mais d’en garantir l’acceptabilité sociale en régulant éventuellement le rythme selon des contextes politiques, économiques, territoriaux. En réalité, même cette régulation est inopérante car les acteurs politiques et économiques anticipent des mesures restrictives et multiplient les projets ou accélèrent leur réalisation. La seule issue est d’organiser la résistance.
Les résistances sont de formes et d’ampleur diverses. Quelques-unes, médiatisées et bénéficiant de soutiens élargis, sont devenues emblématiques. Mais la plupart sont méconnues en-dehors de leur territoire et isolées les unes des autres. Bien souvent, les collectifs qui les animent s’épuisent face à l’adversité sans parvenir à construire un rapport de forces. Dans les campagnes où les opposants sont peu nombreux, dispersés et ne peuvent pas compter sur des apports extérieurs, l’organisation de la résistance est difficile. Ces nouveaux territoires de l’aménagement mercantile sont sous la coupe de roitelets politiques à la tête de super communautés de communes. Alliés aux affairistes de tous poils, gouvernant par le clientélisme et à grands coups de « zonage », ils s’emploient à briser les solidarités de voisinage qui pourraient gêner leurs projets. Que fait-on ?
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