5. Le monde qui advient : Nous – Sandra Naranjo
Chantier et grammaire d’un dépassement soutenable de la Démocratie
Le mot Démocratie à tellement envahi les lieux du politique qu’il a finit par en devenir une obsédante référence. De quelque côté que l’on se penche on la revendique.
Qu’on l’invoque, la dise bafouée ou que l’on prétende tenter d’ y être fidèle, on ne cesse de s’y aveugler en continuant de lui déléguer la structuration de nos libertés individuelles et collective. On en annonce la fin possible comme une apocalypse, on la vénère comme un modèle indépassable et protéiforme en lequel nous espérons encore mouler nos plus belles espérances de vivre ensemble.
Pourtant c’est bien en démocratie que nous vivons et les dérives dont nous accusons nos politiques et nos gouvernements successifs ne sont pas des accrocs dans un quelconque contrat républicain, mais les effets mêmes de cette démocratie.
On s’acharne à la vouloir directe et s’imagine que représentative elle serait contraire à elle même or il n’en est rien. Dès son origine, Démocratie a posé la base de tous les systèmes électoraux et de toutes les représentations possibles à la seule condition qu’ils servent les intérêts d’un petit groupe d’individus appelés citoyens ne constituant qu’une faible partie de la cité.
En fait La démocratie est indissociable du suffrage soit disant universel qui colle au mot peuple en le délimitant. Le fameux « gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple » qu’énonce Abraham Lincoln à Gettysburg en 1863 deviendra avec De Gaulle en 1958 la « souveraineté du peuple ». On voit bien là naître l’ambiguïté première entre la notion d’universalité et celle plus limité de peuple. L’ambivalence de la démocratie réside là dans cet interstice sémantique : Le peuple est assimilé à l’universel même s’il exclu la majeur partie des humains. Ce peuple là est le souverain et ne gouverne que pour lui même. Mais là où la monarchie dévoile le visage du roi assumant le pouvoir en nommant le gouvernant et le gouverné, le peuple souverain reste une nébuleuse sans visage, une souveraineté sans sujet, un pouvoir qui ne dit pas sur qui il s’exerce. Or le Cratos est bien un pouvoir en tant qu’il gouverne et décide pour d’autres que lui même, un pouvoir SUR et non un pouvoir DE qui serait une capacité et une puissance. Le Cratos n’est pas non plus la maîtrise d’une conscience par elle même, ni un potentiel, le Cratos est une force qui doit s’exercer sur quelqu’un ou quelque chose quelque soit l’envie ou la volonté d’obéir à cette force.
Platon nous avait bien mis en garde dans son essai sur la République : la démocratie vient de l’oligarchie et mène à la tyrannie. Voilà une phrase que résume radicalement l’inexorable mouvement d’une gouvernance qui continue de coloniser les désirs de libertés individuelles sans comprendre que tout pouvoir SUR est l’écrasement d’une puissance d’un potentiel, d’une subjectivité et d’une sensibilité. La démocratie ne mènera pas à l’émancipation car cela n’a jamais été sa raison d’être.
Hélas, bon nombre de militants pour un avenir soutenable, continuent de chanter les louanges de ce système qu’ils appellent à sa pleine réalisation sans voir qu’ils sont piégés dans son fonctionnement et s’embourbent un peu plus à chaque fois qu’ils l’invoquent car jamais la démocratie n’a prétendu défendre les intérêts de tous et encore moins le bien commun.
La crise des gilets jaunes en est selon nous la plus terrible illustration.
Depuis la révolution française et la fin de la monarchie, notre république se cherche un mode de fonctionnement, elle a pris tout naturellement le modèle Grec et Athénien. Mais nous avons oublié que le Peuple (avec un grand P) des Athéniens, appelé aussi Citoyens, ne représentait qu’une infime partie de la population (de 10 à 20 %). Les autres, le peuple (avec un petit p) en étaient exclus. Les femmes, les esclaves, enfants et les étrangers n’avaient littéralement pas le droit de cité. Mieux encore, lorsqu’un citoyen devenait gênant, l’ostracisme le bannissait faisant de lui un étranger ou un paria.
Que chez les Grecs la citoyenneté ait été sélective ne semble pas affecter le puissant imaginaire attaché au modèle. On le défend en invoquant le contexte et les avancées de l’égalité tout au long de l’histoire. Mais les femmes n’ont pas obtenu leur droit de vote en 1944 grâce à la démocratie.
Les Grecs opposaient la Démocratie à l’oligarchie ( petit groupe qui détient le pouvoir) il s’agissait pour eux d’élargir le groupe des “very happy few” oligarques à une communauté citoyenne c’est à dire les hommes, nés à Athène, n’habitant pas trop loin du centre et pouvant assister à l’écclésia (l’assemblée).
À l’heure où l’on invoque la fameuse démocratie directe on oublie que le principe de celle-ci est justement d’élire des stratèges au poste clès de la direction des armées (dont le rôle est aussi de récupérer par la force les impôts demandés aux villes placées sous sa protection).
Comment demander à un régime dont la base est l’élitisme citoyen, de se muer en un mode d’accueil généreux et ouvert envers les émigrés ? Comment espérer que ce modèle deviennent incluant quand son principe de justice est encadré par l’exclusion et l’ostracisme. Comment attendre de la démocratie qu’elle cultive la paix quand elle a délégué aux dirigeants de ses armés, ce que Weber nommera “le monopole légitime de la force” en établissant pour les désigner le mode d’élection ?
Or c’est justement ce principe là que nos républiques ont perpétué alors que nous savons depuis plus de 2000 ans qu’il suppose une propagande du prétendant qui pour gagner doit utiliser tous les moyens possibles. Cultiver sa force, sa belle complexion et son image, affiner son art du discours, celui de briller, voilà la pratique à laquelle le citoyen doit s’adonner s’il veut arriver au poste de stratège qui le rapproche du statut du Demi dieu. Mais cela ne suffit pas il lui faudra aussi séduire le peuple, le fameux Démos de la Démocratie pour prétendre le conduire et exercer son pouvoir. Ainsi la Démagogie est elle étymologiquement le terme qui désigne cet art (demos Peuple, agos conduire)
Comment en excluant les femmes et les esclaves, c’est à dire tout ceux sans l’activité desquels la cité ne pouvait fonctionner, la démocratie a t’elle pu être confondu avec un modèle pouvant donner sa place à tous ?
Comment enfin la démocratie a pu t’elle incarner un modèle de liberté d’expression et de construction du sujet émancipé quand elle a condamné Socrate son propre philosophe, a boire la ciguë. ? Pourquoi ? Parce que la cité voulait bien que Socrate forme des orateurs à la technique de la rhétorique et de la réflexion mais lorsque certains Athéniens réalisèrent que Socrate permettait à ses élèves d’apprendre par eux même et à mettre la logique au service de la question donc de la remise en question, ils se sentirent menacé en leur intensément “Démocratique” position. Et nous le savons tous, entre la posture à l’imposture il n’y a souvent qu’un voile dont le risque est le dévoilement ou la révélation.
Sans doute la démocratie était elle à cette époque une percée audacieuse pour échapper aux despotes, aux oligarques et aux conflits d’intérêts mais ce modèle novateur il y a 2500 est largement inadapté à la germination d’un monde qui advient et pousse les consciences individuelles à se relier et se rallier comme nous le rappelle l’étymologie de l’intelligence ( : interligere du latin lier ensemble)
“Le bonheur de tous” revendiqué par le préambule de la DDHC n’a jamais invoqué la démocratie mais une autre façon de concevoir la cité qui seraient “désormais basé sur des principes simples et incontestables”.
Notre république pour avoir achoppé à réinventer une cité inclusive, s’est contentée de recycler le modèle Athénien et de l’adapter pour fabriquer une nouvelle gouvernance.
Pas étonnant que le capitalisme ait pu si bien pousser sur ce terreau idéal qui laissé la confusion d’établir entre l’épanouissement individuel grâce au collectif et le développement du libéralisme qui pour valoriser un individu autorise l’asservissement d’autres. Sur ce point, la seule différence avec la tyrannie consiste en un semblant de consentement de la part de l’ouvrier ou du consommateur.
L’ouvrier revendique son droit au travail comme un droit à un esclavage rémunéré et le consommateur se laisse séduire par la promesse du produit. Séduction et promesse de bonheur individuel, voilà bien les armes de la démocratie. Le grand pouvoir (cratos) du peuple (Demos) ne précise pas qui est le peuple. Ce grand pouvoir devient alors celui qui est au service de l’initiative individuelle lorsqu’elle prétend servir l’intérêt de la cité.
Sous ce vocable vertueux de dévotion à la cité devenu nation, se tient ce que Adam Smith nomme l’“intérêt général”. Malheureusement l’intérêt générale de la nation n’a jamais été le bien commun mais l’addition des enrichissements personnels. La nuance peut sembler subtile mais c’est toute l’intentionnalité des projets et des entreprises qui diffèrent radicalement. En effet dans le cas de l’intérêt du bien commun le gain est secondaire dans le cas du libéralisme le profit EST le but. L’autre aspect non négligeable de la notion de bien commun est celui de la préservation des ressources qui est exactement l’inverse du productivisme échevelé et irresponsable que permet l’enrichissement de la nation sous la forme qu’on connaît bien du PIB. Tout le monde le sait depuis le rapport Stiglitz, le PIB ne rend pas compte du bien être ni du fameux bonheur de tous mais de l’activité financière du pays. Il indique comme accroissement (donc positif) le développement au même titre que les dégradations, les catastrophes, les maladies, les accidents comptant comme création d’activité. Pire encore il considère comme développement ce qui mène directement à l’épuisement des ressources.
On retrouve le même fossé entre la médecine d’abord préventive et soignante au sens de soin, et le traitement soit disant curatif qui déroule le tapis rouge devant les laboratoires. Le curatif utilise la maladie pour faire vivre ses acteurs quand la médecine préventive cherche à l’éviter ? Dans un cas les dépenses augmentent dans l’autre elles diminuent. Là encore l’intérêt personnel que défend bec et ongle le libéralisme en arguant qu’il augmente la richesse de la nation est le résultat de la démocratie. Il n’est ni une dérive, ni un dégât collatérale de l’avènement de la liberté individuelle, il es est l’exploitation au sens le plus productiviste et deshumanisant.
Le modèle Démocratique est la voie royale qui conduit benoîtement et sans vergogne a ce type de civilisation. Son avatar, le libéralisme permet à une personne ou un petit groupe d’œuvrer seulement pour lui même c’est à dire son propre profit. Ouvrons les yeux, le bien commun, le bonheur de tous, n’a jamais fait partie des visées du libéralisme.
Il nous faut repenser le principe individualiste comme un désir de s’intensifier avec l’autre et non plus sur ou contre l’autre. La richesse est à reconsidérer non plus comme principe d’augmentation de bien matériel mais comme possibilité de partager et de renouveler des biens communs. L’altérité est un inconnaissable qui ne peut être asservi et pourtant elle est le fondement d’une communauté qui ne pourra advenir sans cette prise de conscience. La nouvelle anarchie refuse toujours autant les pouvoirs écrasant mais elle cherche une union fructueuse, et non plus anti sociale.
L’épanouissement et l’émancipation sont dorénavant des désirs intelligents qui font du lien le fondement de leur puissance. Notre planète est notre oeikos (maison) et de son intendance va dépendre notre vie. Le modèle démocratique, qui a permis le développement tentaculaire du libéralisme donc du capitalisme, donc de la course à la richesse matérielle individuelle, ne saurait tenir devant l’absolu nécessité de sortir d’un vieux moule.
On ne peut du reste s’empêcher de faire le lien entre la démocratie qui mène à la tyrannie et le libéralisme qui mène au capitalisme et à la financiarisation.
Nous laissons aux historiens le soin d’élucider l’évolution de cette civilisation dont nous constatons l’essoufflement
Ce qui motive notre propos est essentiellement la tentative de description d’un mode de vivre ensemble qui serait fondé sur de tout autre principe. Ici la difficulté réside dans le fait que la démocratie a tellement envahi les notions de liberté individuelles et collective qu’il nous faut faire un effort considérable d’arrachement à nos représentations classiques pour désencrasser notre imaginaire.
L’utopie elle même est affectée par le virus démocratique.
Pour tenter une percée dans cet épais nuage, nous avons choisi d’imaginer un Nous comme puissance et liant de la cité. Nous avons préférée la notion de puissance à celle de pouvoir et remplacé le peuple (grand P petit p) par un mouvement d’alliance individuelles et de diversités qui incarneraient le Nous. Autrement dit ce Nous est à la fois une dynamique et un nombre qui s’agrandirait grâce à une capacité d’inclusion fondée sur l’accueil et la libre expression des conflictualités.
Nous verrons comment grâce à ces espaces de libres expressions, les violences des oppositions peuvent devenir énergie d’actions et intensification des créativités.
Nous décrirons un mode de prise de décision commune et une gouvernance collective ou la représentation n’est ni un porte parolat ni une confiscation de la voix de chacun, ni l’incarnation de tous mais le choix temporaire d’une subjectivité assumée.
Nous verrons comment ce choix se réalise et sur quelles bases.
Nous avons conscience que ceci n’est qu’une proposition imaginaire mais elle a le mérite d’oser pratiquement dépassé un modèle selon nous usé et limitant.
Le Nous que nous construisons est un bâti de cohérence qui peut se tromper mais jamais chercher à manipuler puisqu’aucun pouvoir n’est à gagner mais seulement un supplément de puissance et de joie en la vie de chacun.
Les subjectivités conjuguées :
La domination fut le temps de l’inconscience
Avant d’avoir conscience de la puissance de ma subjectivité et de son incroyable impact sur le monde qui m’entoure, avant de sentir que seul le sujet placé devant le verbe pouvait le rendre actif, avant d’avoir choisi de penser le monde, je me vivais comme le jouet de LA société et DU monde, je me vivais comme pensé PAR le monde.
Cette pensée faisait de moi un être agit par l’extérieur. De fait je ne pouvais accéder au Nous d’une véritable première personne du pluriel. J’appartenais au petit nous du grand nombre qui n’ose dire JE, je m’agrégeais au petit nous des victimes, au petit nous des manipulés, au petit nous de ceux qui n’ont pas le choix, à l’immense petits nous des dominés par d’autre nous non moins ignorant d’eux mêmes. Lorsque j’ai assumé ma subjectivité, j’ai pu décider de rejoindre le grand Nous et devenir cette première personne dont le pluriel exprime la pluralité.
Dès lors nous avons affirmé le choix de la liberté individuelle comme socle de notre union. Notre collectif est avant tout celui d’un bon sens que la grammaire ne cessait de nous montrer : le Nous est l’avènement du Je, et Je est la conscience du Nous.
Aucun tyran ne peut soumettre un être libre, il peut l’emprisonner mais le cœur est inaliénable. Suivre son coeur, entrer en cohérence avec lui, voilà le chemin de la cohérence dont l’autre nom est le courage. Le courage est la puissance dont le cœur est le battement, la source et l’origine. Le courage nous rend héros de notre vie. Le grand Nous est né de l’alliance de ces savoirs personnels.
Nous sommes chacun intégralement nous même et si nos voix forment un chœur, elles n’en restent pas moins chacune un timbre, une nuance et une puissance particulière.
Nous avons bien conscience que nous ne pouvons pas tous parler à la fois aux personnes à qui nous voulons nous adresser. Il nous faut donc choisir quelqu’un à qui elles pourront s’adresser pour poser toutes les questions qu’elles souhaitent sur notre mouvement. Si une personne souhaite agréger sa vision du monde à la nôtre car elle aura été touchée dans sa chair et son désir d’agir, alors nous pourrons dire que notre mouvement devient progressivement une nouvelle forme de société. Car c’est une société que nous sommes en train de devenir et non pas une politique que nous voulons faire. Pour nous une société est un tissu de consciences individuelles librement entrelacées, de besoins consciencieusement pris en compte et de bienveillance absolument vigilante.
Nous sommes un mouvement car nous sommes vivants et dynamiques, nous roulons comme une vague vers de nouveaux horizons. Nous sommes le monde qui vient !
Notre façon de faire société ne s’appuie plus sur les modèles qui ont comprimés notre créativité et notre capacité à nous relier les uns aux autres. Nous ne reconnaissons à aucun être humain le droit de nous soumettre.
Nous n‘avons pas besoin d’être protégés par des dominants, nous voulons engendrer la tranquillité par l’intelligence, l’échange et la confiance. Nous ne voulons plus institutionnaliser la violence car l’institution pour perdurer a besoin d’entretenir son objet.
Comment nous faire entendre :
Nous vivions une véritable crise de la représentation et de la parole.
Nous ne supportons plus qu’un autre être humain s’arroge le droit de parler à notre place et en notre nom. Une nouvelle génération et conscience citoyenne fuit comme une vieille maladie les rapports de force et la prise de pouvoir.
Nous ne voulons plus que quiconque écrase notre puissance de vie (d’être et d’agir)
Nous sentons que la route de la représentation élective est barrée.
Nous expérimentons que celui qui prétend nous représenter, fini inévitablement par vouloir nous diriger et nous faire taire. Nous lui avions prêté notre parole et nous constations qu’il ne voulait plus nous la rendre. Nous lui avions donné notre voix et il nous la confisquait.
La plupart de nos politiciens sont encore attachés à des formes de communications usées jusqu’à la trame qui cherchent encore à séduire où à convaincre. Ils doivent nous gagner, nous emporter sans respecter notre existence. Ils n’éprouvent aucun intérêt à nous regarder vivre mais Ils prétendent nous éduquer et nous ramener dans leur droit chemin.
Ils ne se voient pas enlisés, essoufflés dans une ligne de fuite qui n’a plus de « droit » qu’une perspective sans destination.
Ils nous parlent de communication sans réaliser qu’ils ne savent plus entendre et de progrès sans comprendre qu’ils avancent sur un plan de l’histoire où ils sont de plus en plus seuls.
Ils veulent contrôler et gérer les moyens financiers, nous voulons libérer nos capacités et nos élans. Ils veulent enfermer nos richesses dans l’illusion des leurs.
Nous sentons que nous ne sommes déjà plus au même niveau d’humanité.
Ils rejettent leurs émotions, nous revendiquons notre sensibilité, ils affirment le monopole «légitime» de leur force, nous leur opposons la diversité de nos fragilités. Ils revendiquent leur certitude, nous choisissons d’être curieux et nous interroger, pour mieux nous comprendre, pour mieux nous respecter et surtout pour ne pas croire savoir de l’autre ce qu’il ne nous dit pas. Nous ne voulons pas ramener la parole de l’autre à un silence consensuel. Pour nous « qui ne dit mot, se tait et ne consent pas forcément ». Nous attendons que les timides osent lever leurs yeux et leur voix, nous sommes d’abord attentif et apprenons à nous entendre avant de nous allier.
Personne ne peut parler à notre place mais nous allons tout de même choisir quelqu’un à qui parler c’est à dire quelqu’un à qui VOUS pourrez parler et qui aura tout notre accord pour exprimer en quoi il est une partie vive de notre mouvement. Une goutte parmi les gouttes, traversée par l’intégralité de la force du fleuve.
Nous ne voulons plus de chef et le mot leader ne nous rassure pas plus car il suppose que nous avons besoin d’être conduits comme des enfants que l’on prendrait par la main.
Nous sommes absolument déterminés et adultes et nous voulons que notre parole individuelle ne soit pas érodée par le fait d’appartenir à un mouvement pluriel donc nécessairement composés de personnes différentes.
Nous avons chacun déjà expérimenté dans notre vie la frustration et la colère que provoque la spoliation de notre volonté et l’irrespect de notre singularité. Chacun de nous est irremplaçable et nous n’irons pas peupler les cimetières de ceux qui croyaient l’être.
Nous ne voulons ni porte parole ni leader, mais juste une personne à qui les autres parleront et qui changera pour ne pas être identifié de l’extérieur au mouvement entier Nous voulons une personne qui ne représente qu’elle même et, en cela sa part du mouvement.
En cela elle prouve sa puissance d’engagement intime, cette force qu’elle donne à sentir est celle qui habite chacun de nous à sa façon.
Nous apprenons à coordonner nos puissances et à les mettre à œuvre pour nous même (en nous libérant des habitudes qui ne nous conviennent plus) et pour notre mouvement
(par la pratique individuelle et collective de nouvelles formes)
Nous voulons une personne qui parle en son nom de toute la puissance de sa sensibilité. Quelqu’un qui affirme qu’il est un sujet libre, une conscience responsable de sa parole. Il choisi les mots qu’il prononce car il sait que sa bouche est reliée à son cœur. Ses paroles ont la tonalité et le son de son corps et l’énergie de son existence.
C’est parce qu’il parlera de lui, c’est à dire à partir de lui, qu’il parlera de nous comme chacun de nous pourrait parler à partir de lui même.
Ce « Quelqu’un » à qui vous parlerez ne nous représentera pas mais, plus il sera lui même mieux il parlera de nous.
Il ou Elle dira
— « Je ne prêche pas une utopie, je vous parle de la société où je vis déjà, la voyez vous, la sentez vous, l’entendez vous la travers mes yeux, mon élan, ma bouche ? La voyez vous
dans votre rétine, la sentez vous dans votre chair, l’entendez vous vibrer dans vos tympans et faire frissonner votre peau ? Ce mouvement c’est moi et ce pourrait bien être vous aussi … et vos enfants…et vos proches….et vos voisins…et les proches de vos voisins….et les amis de vos enfants.
Vous demandez comment cette personne sera choisie ?
Chacun de nous a dit pourquoi il ajoute son « MOI» au « NOUS ». Ce faisant, il est devenu une première personne du pluriel. Il ne cesse pas d’être une première personne du singulier mais il intensifie son règne sur lui même, le roi a dit « nous voulons » et chacun de nous est reine ou roi de son propre royaume.
Chacun de nous a exprimé sa détresse, sa solitude, sa tristesse ou sa colère, son désir de s’allier et sa crainte de se voir « récupéré » ou instrumentalisé. Chacun de nous a dit vouloir que le monde change et chacun a accepté la première épreuve qui consiste à porter la part de son monde dans celui des autres et la part du monde des autres dans le sien.
Chacun de nous a expérimenté que l’altération (en temps qu’elle nous modifie) n’est pas forcément négative et que l’altérité passe par elle.
Chacun de nous a raconté ce qu’il voyait, ce qu’il sentait, ce qui le fâchait.
Nous avons fait silence et nous avons laissé à sa voix le temps de nous atteindre et de nous toucher. De ce fait chacun de nous a pu expérimenter le bonheur d’être entendu du tréfonds de sa sensibilité. Nous avons été troublé et nous avons compris à quel point nos émotions sont un flot puissant de vie, un mouvement qui nous régénère s’il peut circuler d’un être à un autre comme de soi à soi même.
Chacun de nous à trouver dans le nous, cette première personne du pluriel à qui parler. Chacun de nous é tout d’abord été décontenancé et surpris par l’incroyable présence de cette écoute. Chacun l’a ressentie dans tout son corps comme si tout le flot de nos tristesses et la lourdeur de nos désespoirs trouvaient enfin le lit où ils allaient pouvoir s’écouler tout en nous libérant de leur pression. Chacun de nous a vu pendant ce temps la tristesse et la pesanteur des autres s’ajouter au flot de la nôtre. Nous avons pu chacun percevoir notre propre soulagement en laissant notre colère s’écouler dans l’écoute de celle de l’autre.
Ainsi nous avons compris que cet autre, à qui les autres parleraient, serait avant tout quelqu’un que nous aurons non seulement écouté en faisant silence et tendant nos oreilles, mais aussi entendu car sa parole et sa sensibilité auront résonné en nous. Nous insistons sur le fait que cette personne n’est pas ni un porte parole ni un représentant ni même un messager mais une part subjective de notre mouvement qui est précisément une alliance de subjectivités assumées et responsables.
La définition commune des qualités requises
Ensemble nous avons défini les qualités requises de la personne que nous allons choisir.
Si par exemple il nous semble primordiale que celle ci possède une élocution claire, nous l’écrirons dans notre élaboration collective du profil.
Il se peut que nous réalisions alors que beaucoup d’entre nous confondent encore élocution claire avec facilité d’expression et qu’il risque ainsi d’en découler l’éventualité d’une manipulation rhétorique. Nous comprendrons que ce point, qui nous paraissait d’emblée évident ( la clarté d’expression), nécessite cependant d’être creusé et affiné ensemble.
Il en va de même pour beaucoup d’autre points et principalement celui qui consiste à utiliser ses émotions. Mais il s’agit la d’un chapitre qui exige un développement tout particulier qui serait ici trop long mais que nous étudions dans le détail par ailleurs.
Nous ne choisissons pas par élection car ce n’est pas la personne qui se propose mais nous qui choisissons quelqu’un à qui nous faisons la proposition. La différence entre une proposition et une désignation réside dans la liberté d’accepter ou de refuser.
Nous avons donc décider de choisir avec son accord celui dont les mots en sensibilité auront le plus fait vibrer notre subjectivité. Nous lui avons demandé d’être quelqu’un à qui parler, à qui les autres parleront et à qui nous parlerons c’est à dire une personne ouverte et accueillante. Au bout d’un temps variable et défini nous avons demandé à quelqu’un d’autre et la personne précédente a repris sa place parmi nous.
Ainsi nous éprouvons le plaisir d’être choisi pour ce que nous sommes aux yeux des autres et non pas mis en avant par notre propre besoin de reconnaissance.
Ainsi nous découvrons les nombreuses facettes de notre petite société et nous expérimentons les différentes postures.
Ainsi nous enrichissons nos échanges avec les autres sociétés, mouvements, institutions et organisations, tout en nous protégeant des prises de pouvoir ou de détournement.
Nous n’avons besoin que de très peu de moyen pour fonctionner car chacun de nous
contribue au fur et à mesure aux besoins de notre avancée.
Notre suffrage est assumé et commenté. Il n’est surtout pas anonyme
Lorsque nous choisissons la personne qui correspond le plus à notre sensibilité et qui semble pour nous incarner le plus la voie et les valeurs qui nous sont précieuses (sans cela on ne parlerait pas de valeurs mais de principes) ; lorsque nous désignons cette personne, nous affirmons chacun notre décision devant tous en prenant bien soin de l’expliquer le plus clairement possible. Nous le faisons pour dire les qualités qui nous ont touchées chez cette personne et pour exprimer en quoi elles nous semblent profondément indispensables à une parole dans laquelle nous pourrions reconnaître nos propres aspirations. Il est fondamental que notre choix reflète l’idée que nous avons de la partie la plus sensible de notre humanité en tant que nous souhaitons la partager et la voir partager par d’autres.
En cela l’idée même d’un isoloir ou de l’anonymat du choix, vont exactement dans le sens contraire de notre désir de reconnaissance réciproque. Nous avons besoin de savoir que les autres ont vu et reconnu notre choix.
C’est précisément parce que nous avons à notre tour pu entendre et comprendre le choix de chacun que nous avons pu intimement et librement modifier ou ajuster le nôtre. Le suffrage universel représente pour nous une universalité de l’absence et de l’irresponsabilité. En effet qu’est ce qu’une responsabilité qui se dérobe et se cache devant autrui ? Est ce par peur d’être jugé ou vilipendé que nous nous disparaissons dans l’isoloir vu et en ce cas, de quelle liberté parle t’on quand on me demande de donner mon opinion.
Il en va de même pour la main qui rédige sa réponse et la cache dans le chapeau. Nous voulons dire et dire encore les qualités que nous avons vu, nous voulons décrire les compétences qui nous paraissent évidentes nous voulons le faire pour que justement chacun puisse entendre notre choix. Nous voulons le faire pour pouvoir à notre tour entendre et apprécier celui des autres. En cela nous affirmons notre désir de nous relier en apprenant à nous entendre et à nous respecter comme être humain responsable de son choix et de sa sensibilité.
Lorsque des décisions doivent être prises, nous délibérons ensemble en continuant d’affirmer notre sensibilité et en assumant pleinement notre subjectivité. Ainsi il ne peut y avoir de majorité forte impliquant une minorité faible.
Ainsi chaque décision implique qu’une part du monde de chacun négocie d’abord avec lui même. Chacun de nous pourra sentir jusqu’où il peut aller sans abîmer cette joie d’être lui même qui est la base du plaisir d’être ensemble.
Si une décision satisfait l’un et pas l’autre, il ne faudra surtout pas couper la poire en deux car cela supposerait une part égale alors que la satisfaction réside sur un ajustement qui n’est précisément pas une égalité mais une personnalisation c’est-à-dire encore une fois, la prise en compte de chacune des subjectivités.
Nous ne décidons pas par un consensus où le silence fait approbation (et laresponsabilité ne s’engage pas), mais par un consentement. Nous savons bien qu’il faut parfois quelques objections avant d’arriver à l’accord, mais elles soulèvent la plupart du temps des malentendus et des besoins de clarification. Nous disons L’accord et non pas UN accord car si chaque décision est spécifique L’accord (avec un grand L) est fondamental en tant qu’il exprime et renouvelle la cohésion de notre petite société.
Nous avons aussi appris à ressentir et à discerner assez vite les intentionnalités égoïstes et nous avons compris qu’elles étaient souvent le résultat d’une contraction intérieure et d’une peur. Mais c’est aussi pour dépasser cela que nous avons choisi d’être ensemble.
Du Fondement éthique à une pratique de la cohérence
Notre définition du droit dépasse l’idée de répression.
Nous comprenons « le monopole légitime de la force » qui définie l’état et le droit d’usage de la violence, mais nous lui préférons l’accueil et la culture des ressources de chacun comme socle de notre société.
En effet l’éducation étant notre priorité absolue, nous transformons déjà le concept de sécurité (qui induit un repli sur soi et la peur de la menace) en celui de sérénité (qui implique une véritable confiance en l’autre et en l’avenir). Le droit à L’erreur en tant que possibilité de se tromper nous apparaît comme l’expérience la plus “humanisante” qui soit.
Comment faire sien le monde et développer sa sensorialité et son intelligence sans prendre le risque de l’inconnu. “Errare humanum est…” dit le proverbe, le mal ne réside pas dans l’erreur mais dans l’incapacité à la reconnaître qui induit un entêtement que le suite du proverbe décrit comme “…sed perseverare diabolicum est”.
Ainsi la « tolérance zéro » est la façon la plus radicale d’emprisonner l’intelligence et son développement. Elle tétanise l’enfant et toutes les formes de créativité. Face à ce diktat, une seule réponse possible : le contre mouvement d’évasion de ce système qui suppose une énergie contraire qui devient violence.
Autrement dit cette tyrannie divise le monde en deux :
Ceux qui y résistent avec leur moyen et qui vive la transgression, donc l’exclusion.
Ceux qui s’y plient et qui s’achemine progressivement et inéluctablement vers l’abrutissement.
Rare sont ceux qui, soumit à ce système ont pu échapper à cette tragique et mortifère alternative.
Ainsi ne pas provoquer la violence permet déjà de réduire considérablement l’usage de la force.
Une éducation qui responsabilise et encadre avec souplesse et fermeté les cheminements parfois erratiques et sinueux de chacun (qu’il soit enfant ou adulte) est notre absolue priorité.
Pour nous l’éducation n’est pas réservée aux enfants, elle est un accompagnement de toute une vie à des degrés divers. Sa mise en place est longue et laborieuse mais notre mouvement nous donne le courage et l’énergie de sa mise en œuvre.
Ainsi ce que nous prenions pour de la liberté n’était qu’une puissance de vie encore en friche, elle résistait au contrôle mais ignorait encore que l’art de la maîtrise apporte la fulgurance de la concentration.
Cette force de vie débordante, nous ne la réprimons pas, nous en respectons l’intégrité et la vitalité, et pour la voir grandir sans s’étouffer dans ses arborescences, nous lui offrons une éducation qui est un art d’apprendre par soi même. Nous accompagnons les vitalités à la conscience d’elles mêmes. C’est par cet apprentissage de l’émancipation que notre jeunesse (quelque soit son âge) pourra dépasser le contrôle et faire taire les gendarme ou les délinquants intérieurs que les éducations irresponsables ont injectés en nos enfances et nos fragilités.
Nous remplaçons le maître qui rappelle à l’ordre par l’enseignant qui appelle l’intelligence. Il enseigne la discipline comme l’art de la concentration et invite à réfléchir sur ce qu’il enseigne. Il ne fait pas la police dans une classe, il exige le respect de tous. Il n’abuse pas de son autorité, il enseigne chacun à devenir l’auteur de lui même et à réaliser la sienne. Cette éducation à l’auto-éducation, donne à chacun les outils pour découvrir ses capacités, les affiner et les valoriser.
Le travail de la légèreté comment fondement sociétal.
Pour nous, le monde commun est un monde où chacun peut vivre et s’épanouir. Nous nommons cela le monde qui change, c’est à dire un monde qui s’hybride et se teinte de sa rencontre avec celui de l’autre.
Pour cela chacun de nous contribue en conjuguant une part de son monde à celui des autres auxquels ils décident de se relier. Par cela nous ne sacrifions rien de nous même mais nous élaguons notre liberté car, à l’instar des arbres qui d’épuisent en ramifiant trop, trop de latitude nous amène au débordement et à la confusion.
Nous offrons notre part au besoin de notre société (ou association) car nous savons qu’elle représente notre condition de possibilité d’existence. Nous remplaçons les conditions de vies que les générations précédentes réclamaient, par les ressources que nous générons ensemble. Elles ne sont ni dûes, ni exigibles elles sont le fruit de nos activités communes.
Le pot commun de notre puissance est considérable et nous en ferons d’incomparables capacités. Cela signifie que nous somme chacun un monde et qu’ensemble nous créons le monde en tant qu’il devient celui où nos mondes s’égaillent pour faire société. C’est parce que cette communauté tisse et entrelace l’énergie de chacun que nous la nommons société heureuse. La joie n’est pas une utopie mais un processus d’irrigation et de développement de l’énergie. Nous ne visons pas le bien être lent et mou mais une légèreté dynamique et décisive.
Nous ne souhaitons pas être alourdis par des problèmes que le désespoir et la culpabilité rendent encore plus pesant.
Nous ne prétendons plus nous aider en portant le poids d’un autre. Cela nous le nommons : “fausse solidarité”.
Nous apprenons ensemble à déposer gramme par gramme les lourdeurs qui encrassent notre créativité, notre liberté et notre joie de vivre. Nous avons constaté que nous étions tous lardés de ces poids jusqu’aux plus avisés d’entre nous.
Nous avons expérimenté qu’à chaque fois que nous nous rejetions ou nous nous jugions (nous même ou les autres), un nouveau poids s’ajoutait. Ensemble, nous avons découvert que la légèreté menait à la joie individuelle et à la tolérance.
La création d’un espace de libre expression de la conflictualité
Nous avons presque tous déjà vu des prétendus débats où la houle se mue colère puis en agression jusqu’ à parfois finir dans la violence ou l’indignité. Nous nous sommes demandés comment des gens prêts à échanger des idées en viennent à se meurtrir verbalement ou physiquement ? Pourquoi des points de vues différents provoquent- ils de tels incontrôlable remous ? Comment des personnes, toutes attachées à des idéaux pour mieux vivre ensembles, en arrivent elles à s’égarer dans l’agitation de la haine ? Nous avons vu le cadre d’une confrontation pacifique voler en éclat sous la force du déchaînement, nous avons vu les gens partir furieux, les portes claquer, et parfois les lieux être saccagés et des personnes agressées.
Oui nous avons remarqué que ces lieux n’étaient protégés par aucune règle. Nous avons remarqué que le cadre du débat était médiatique, politique ou publique mais qu’il ressemblait presque toujours à une arène où l’on invite le peuple à voir des gladiateurs en découdre. En d’autre mots le débat tenait du spectacle ou le participant glisse dans le rôle d’un combattant avec plus ou moins de délectation. Il fallait un gagnant donc un perdant. Le débat portait bien son nom, quant à la polémique elle vient de la guerre (polemos). Dès lors la raison cède sous la pression : elle ne désigne plus la sagesse mais elle fait perdre la face à l’autre. Si j’ai raison c’est que tu as tort.
Nous n’avons pas vu d’échange d’idées mais nous avons assisté à des attaques stratégiques et des jeux de rhétoriques destinés à avilir l’adversaire ou à flatter des supporters.
Nous n’avons pas vu d’échanges de richesses sensibles ou existentiels mais des véhémentes justifications de positions doublées de reproches et d’accusations. Tout cela était Démagogie et Platon nous avait pourtant bien mis en garde.
Un conflit ne naît généralement pas de l’expression d’un désaccord, fût il radical, avec les idées d’un autre, un conflit naît de la perception que nous en avons et qui provoque en nous des mouvements intérieurs puissants qui nous emportent parfois au-delà de notre capacité à les retenir.
Tout se passe comme si les idées de l’autre prenaient chair et devenaient immédiatement menaçantes, comme si l’adversaire se changeait en danger ou en obstacle. Dès lors nous le mécanisme de réponse à la peur se met en place, l’agression, la fuite, ou le figement. Nous réagissons plus que n’argumentons : notre cœur s’emballe, notre voix s’emporte. La partie du cerveau concerné est celle qui est la plus ancienne (reptilien) et faite pour répondre à une menace vitale. Cette partie conditionne les réflexes et sa rapidité est telle qu’elle précède notre prise de conscience.
Ce mouvement intérieur et non contrôlé nous bouleverse et bloque tout accès à notre capacité de réflexion qui a besoin d’un minimum de sécurité et d’une temporalité plus longue pour se déployer.
Nous sommes donc incapable de juguler la force de ces mouvements intérieurs. Tout comme nous ne pouvons étouffer le cri d’un autre sans risquer de le priver mortellement d’air, nous ne pouvons pas empêcher la vague de la rage ou de la colère mais nous pouvons la laisser nous traverser et nous laisser le temps de nous reprendre. Pour cela il nous faut un espace sécurisant on nous pouvons nous retrouver et apprendre à revenir de cet “hors de nous”.
Nous savons que cette traversée de la violence fait partie de l’apprentissage, nous voyons que nous ne pouvons exiger de quelqu’un qu’il se reprenne alors qu’il est incapable de se diriger car sa conscience est littéralement balayée par l’émotion.
Il nous faut donc créer ces espaces ou la violence retenue par le cadre peut devenir une énergie constructive et se changer progressivement en curiosité de soi et de l’autre. Ainsi comme une prise de terre dévie dans le sol le trop plein d’électricité en nous protégeant de l’électrocution, nous installons dans nos espaces de libre expression, des limites qui bordent le flux émotionnel sans le contraindre.
Nous avons décidé de fabriquer des espaces où la conflictualité pourrait s’exercer en toute sécurité ou chacun pourrait de se risquer hors de lui et se reprendre. Car sans risque de cette conflictualité nous ne pouvons connaître les forces qui sont en nous. Nous devons expérimenter le tourment émotionnel de l’opposition pour sentir en quoi il nous affecte. Sans ce précieux et irremplaçable vécu nous ne pouvons pas accéder à l’autre car nous nous redoutons nous même et craignons de nous confronter à nos débordements.
Ces limites sont des règles et des enseignements:
• Tout rapport de force dans un débat doit être reconnu et nommé (mais non jugé)
• Toute tentative d’avoir raison sur quelqu’un doit être reconnue et nommée (mais non jugé)
• Exprimer ses idées et dire ses émotions engage celui qui les prononce qui est irremplaçable et doit être entendu. Nul ne peut contredire cela.
• Chaque point de vu est la vue d’un point, l’autre se trouve donc dans le débat à une place qu’on ne peut lui prendre.
• Les émotions comme la colère, la tristesse et la rage doivent être accueillies par le publique mais si l’adversaire en est la cible, le débat doit prendre un temps d’arrêt afin de laisser passer le flot et que l’adversaire ne soit ni blesser ni contaminer par la violence.
• Une idée est essentiellement fausse lorsqu’elle est incohérente, c’est donc le plus souvent cette incohérence qu’il est intéressant de montrer, car dès qu’elle est mise à nu, celui qui en prend conscience a le désir naturel de changer sauf si l’orgueil l’en empêche. L’orgueil est souvent mené par la peur de perdre la face et la peur de perdre la face par le regard des autres sur votre visage. De cela découle l’importance du rôle bienveillant du public et la nécessité qu’il soit le gardien des règles et des limites.
• Une idée ne peut pas être imposer à un autre, elle doit être expliquer afin que celui d’en face puisse répondre de la manière dont il la comprend et la ressent. Ces allers retours de clarification de la perception et de l’intellection de chacun sont indispensables.
• L’adversaire n’est pas nécessairement un ennemi mais comme le dit l’étymologie un autre « versant » du réel (latin ad versus : tourné vers ou contre)
• Ainsi nous préfèrerons au mot débat qui implique l’idée de ce battre (étymologie) celui de controverse qui implique une partie adverse c’est à dire un autre côté donc une vu que nous ne pouvons pas avoir . Ce partage des vues même s’il est confrontant et dynamique est la base de toute réalité car celui qui a toujours raison est aveugle à autrui et donc au monde. Il devient seul et fou enfermée dans une raison qui tourne avide.
• Si l’ensemble du groupe reconnaît comme intelligence, la capacité d’évoluer et de dépister les incohérences (de quelque côté qu’elles se trouvent), alors tout naturellement devient victorieux celui qui la révèle en l’autre et celui qui la reconnaît en lui même grâce à l’autre. Cette victoire à deux visages ne s’obtient qu’à deux et par la controverse, et les adversaires deviennent des alliés qui ont agrandit leur territoire grâce à la vison de l’autre.
• Avoir de la raison est donc plus cohérent et fructueux qu’avoir raison (qui implique la défaite d’un autre)
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