12. De la guerre sacrée [I] – Kimiâ
Réponse d’un ami du désert : critique, messianisme et destin
Ce qui est nécessaire à ceux qui ignorent ce que l’horreur représente… l’horreur a un visage et il faut se faire une amie de l’horreur… la terreur morale et l’horreur sont vos alliés… il faut qu’ils le soient… sinon ce sont des ennemis qu’il faut redouter… ce sont de vrais ennemis…
Colonel Kürtz, Apocalypse Now, Francis Ford Coppola.
Il est inévitable que des hommes, par poignées d’abord, puis en plus grand nombre, se réunissent autours du projet explicite de POLITISER LA METAPHYSIQUE. Ceux-là sont dès aujourd’hui le signal d’une prochaine insurrection de l’Esprit.
Tiqqun I, Qu’est-ce que la métaphysique critique ?
Je crois que l’on pourrait appeler spiritualité, la recherche, la pratique, l’expérience, par lesquels le sujet opère sur lui-même les transformations nécessaires pour avoir accès à la vérité. (…) Mais la gnose, et tous les mouvements gnostiques, ce sont précisément des mouvements qui surchargent l’acte de connaissance de toutes les conditions, et de toute la structure de l’acte spirituel, et qui en effet donne la souveraineté dans l’accès à la vérité. La gnose, c’est en somme, ce qui tend toujours à transférer, à transposer dans l’acte de connaissance lui-même, les conditions, les formes et les effets de l’expérience spirituelle.
Michel Foucault, L’herméneutique du sujet, cours au Collège de France du 6 janvier 1982.
Il faut commencer par l’erreur et lui substituer la vérité. C’est-à-dire qu’il faut découvrir la source de l’erreur, sans quoi entendre la vérité ne nous sert à rien. Elle ne peut pénétrer lorsque quelque chose d’autre occupe sa place. Pour persuader quelqu’un de la vérité, il ne suffit pas de constater la vérité, il faut trouver le chemin qui mène de l’erreur à la vérité.
Ludwig Wittgenstein, Remarques sur Le rameau d’or de Frazer, partie I.
On a trop souvent tendance à penser que l’admission d’un sens symbolique doit entraîner le rejet du sens littéral ou historique ; une telle opinion ne résulte que de l’ignorance de la loi de correspondance qui est le fondement même de tout symbolisme, et en vertu de laquelle chaque chose, procédant essentiellement d’un principe métaphysique dont elle tient sa réalité, traduit ou exprime ce principe, selon son ordre d’existence.
René Guénon, Le symbolisme de la croix, Avant-propos.
Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un [récipient de] cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat ; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière.
Qorân, 24:35.
Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.
St Jean, VIII-32.
aux fractions révolutionnaires du parti imaginaire
I-
Une pensée de la puissance est acte d’une puissance de la pensée : elle n’est puissance que comme pensée. Une puissance en acte est manifestation d’un acte de puissance : elle n’est puissance que comme acte. Ce qui manque à toute puissance, c’est un nœud gordien que seul un mystère fonde. Une volonté exsangue cherchera infiniment une médiation consolante à ce mystère, tandis qu’une volonté de puissance tranchera le noeud d’un coup de glaive : elles sont les deux faces de la modernité sur laquelle l’empire étend sa souveraineté sur nous.
II-
De même la théorie du dépérissement de l’État ne pouvait historiquement que dépérir, de même la théorie du prolétariat comme valeur du salut ne peut que se retourner contre elle-même, c’est-à-dire se réaliser en salut de la valeur. Le socialisme de gauche et de droite trouve ici l’explication de ses réussites partielles et de son échec final. Aucune société ne peut contenir un peuple, et aucun peuple ne peut faire société. Un peuple est en exode, ou il n’est rien.
III-
Séparer sujet d’un côté, et objet de l’autre, est la première opération d’un pouvoir démiurgique. Capturer l’un et neutraliser l’autre, dans un renversement permanent, est une technique de magie noire. L’économie n’a fait ici que reprendre une formule bien plus ancienne qu’elle. Mais toute pratique de magie noire finit toujours par se retourner contre l’opérateur qui l’active : soit il s’auto-détruit réactivement en emportant avec lui objets et sujets de son envoûtement, soit il retient activement en lui des effets qu’il ne peut maîtriser, ce qui ne fait qu’amplifier les puissances de destruction dans le monde.
IV-
La tradition des vaincus est le fruit, non seulement des puissances de destruction dans l’ordre du monde, mais aussi de ce qui échappe à ces puissances dans l’ordre du temps : de là son ambivalence et son caractère messianique. Son désir inavoué pourrait être énoncé ainsi : pour détruire, il faut aimer ce que l’on détruit ; pour aimer, il faut détruire ce que l’on aime.
V-
La critique exprime un rapport honteux à l’objet de sa critique. Elle est la catharsis de cette honte. Son medium est l’objet de la critique. Critiquer, c’est reconduire la jouissance d’une honte.
VI-
La métaphysique critique est jouissance de sa propre culpabilité face à l’épuisement de la métaphysique, à l’heure de son dépérissement sous sa forme autoritaire-marchande. D’un côté, il y a le désert du capital ; de l’autre, il y a le désert où l’étranger en nous rencontre les questions qui l’anéantissent. Une force messianique qui se scinde en deux sans pouvoir se réunir ne peut se survivre que comme critique de l’impossibilité de son dépassement dialectique.
-VII
La véritable puissance messianique n’est ni substance ni essence, autrement dit, ni matière ni forme, ou encore ni matière ni esprit ; elle est unité principielle en acte. Si la question est politique : une unité principielle en acte peut-elle se vivre en commun ? Cette question est un spectre qui hante la civilisation occidentale depuis ses commencements successifs. C’est seulement depuis des expériences hors formes-de-vie majoritaires que des réponses réelles ont pu émerger ; ces modes d’explicitations ont pris la forme d’une gnose, d’une connaissance qui libère soi-même et le monde.
VIII-
Seul celui qui reconnaît en lui la puissance d’un dieu est capable de mourir à soi-même. La communauté n’est pas se trouver une commune immanence, mais chercher en nous les voies qui conduiront à son mystère. Si une politique communiste est possible, elle ne peut naître d’un sentiment d’appartenance : elle ne peut être que ce qui ouvre à la vérité d’une communication extatique.
Kimiâ.
Depuis un confinement, France.
Avril 2020.
Post-scriptum.
L’actuelle opération mondiale sur les corps et les esprits, que le biopouvoir déclenche unilatéralement, peut être comprise comme :
1- expérimentations de nouveaux dispositifs d’arraisonnement massif de la présence humaine, redéfinissant une nouvelle ontologie de la finitude
2- tentative de restructuration des flux de la valeur informationnelle par une unification spectaculaire de la domination, à partir de ses fragmentations.
En bref : la marchandise est en train de devenir notre meilleur baptême cinétique contre la mort ; et ses armées, la garantie de notre bonne santé ; une nouvelle doctrine de la sécurité globale (NDSG) est en train de naître.
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