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13. Rites, politiques et médiations de l’architecture – Susana Velasco

Dans la dernière décennie on a vu comme les outils propres de l’architecture ont pris le cœur des multiples formes de lutte. Une large série de mouvements – protestation contre la loi Loppsi 2 en France, les “mouvements des places” allumées par les printemps arabes, les ZAD, etc. – ont fait émerger la figure du campement et la question d’habiter-construir comme façon de tisser des liens collectifs. Ces expériences montrent comme l’architecture peut être une pratique de médiation entre les corporalités et le territoire dans lequel elles s’inscrivent. Parmi tout ce qui existe, l’architecture occupe un espace sensible, une zone intermédiaire traversée par toutes sortes de flux et de significations, c’est une matière qui peut rendre visible et opérationnelle l’interdépendance profonde de tout ce qui nous entoure. Cet atelier montrera une série d’expériences autour de l’action rituelle-constructive – comme les cas de l’hermitage du Saint Isidro en Espagne –, et ouvrira un temps de discussion pour penser en commun ce parcours qui, depuis l’année 2011, a fait émerger, plus visiblement, des puissances du geste constructif.

L’expérience de l’hermitage peut se voir un peu dans mon site: https://susanavelasco.weebly.com/caacutemara-ermita-del-santo-isidro–2009.html

Et dans le premier chapitre du livre A partir de fragmentos dispersos, Susana Velasco: https://musac.es/#publicaciones/publicacion/a-partir-fragmentos-dispersos

Le domaine de la médiation architecturale a été abordé à de nombreuses reprises sous ses aspects culturel, affectif et relationnel, mais moins par une approche matérielle et structurelle. Dans l’action de construire, l’architecture est informée, d’une part, par les corps qui la construisent et l’habitent, et, d’autre part, par le territoire sur lequel elle est inscrite. De ce point de vue, le lieu propre de l’architecture est une «zone intermédiaire» à travers laquelle toutes sortes de flux et de significations passent. Cette position donne à la discipline architecturale la possibilité de rendre visible et opérationnelle l’interdépendance profonde de tout ce qui nous entoure et nous conforme.

Tout au long de l’histoire, la recherche d’un sens commun entre corps et architecture a été une préoccupation constante. L’une des voies empruntées depuis l’antiquité était de faire correspondre l’agencement des bâtiments aux parties et aux proportions d’un corps humain idéalisé. L’autre voie, moins fréquentée mais aussi ancienne que la précédente, a cherché le lien entre le corps et l’architecture dans l’action rituelle. Là, le travail de ceux qui construisent consiste à entrevoir les lignes de force de l’environnement pour les composer avec le « faire » du corps; c’est par le geste constructif, et non dans une figure fixe, que se déroulent les mécanismes de médiation qui façonnent cette autre architecture.

La médiation, en tant que principe architectural, peut être abordée à partir des corporalités et des gestes qui la peuplent, en relation avec le territoire et le paysage dans lequel ils s’inscrivent. Le réseau dense de relations qui existe entre ces éléments devient plus évident dans les pratiques et les emplacements frontaliers. C’est le cas des cabanes palombières du sud-ouest de la France, le cas du front habité de la Guerre Civile Espagnole et le cas du pli spatial du phénomène camera obscura: trois formes d’architectures liminales qui se produisent dans des espaces et des temps d’exception. En tant qu’observatoires, ces architectures ne sont pas qu’un cadre dans le paysage, mais elles œuvrent en lui; ses topologies —par les trous et les perforations— mettent en contact l’intériorité et l’extériorité, l’humain et le non-humain, l’individuel et le collectif.

Cabanes, tranchées et caméras sont les “types” d’une architecture “mineure”, à la fois par leur taille, par les outils qui les façonnent; par le plan d’égalité établi avec leur contexte. C’est précisément ce pouvoir du “mineur” à partir duquel les corps, l’architecture et le territoire se correlationnent et coproduisent; et le point de départ pour comprendre les différentes façons de faire de l’architecture aujourd’hui, ou d’ouvrir le spectre de celles qui peuvent être pratiquées.

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